La difficile quête de la vérité scientifique

François Le Tacon - Académie de Stanislas

Introduction

De tous temps les hommes ont essayé de comprendre l’origine du monde et de déterminer les lois qui régissent son fonctionnement. Les hommes ont d’abord invoqué l’existence d’une organisation supra humaine révélée, autrement dit de dieux mystérieux, qui seraient à la fois à l’origine de la création du monde et détermineraient son évolution comme son fonctionnement. Dès les VIe et Ve siècles av. J.-C., les penseurs grecs estimaient que le fonctionnement du monde ne pouvait s’expliquer par des narrations faisant intervenir des dieux. Ils ont commencé à émettre des hypothèses et tenter de les valider par le raisonnement. Leurs successeurs ont continué dans cette direction et peu à peu s’est mise en place une démarche générale qui permet de commencer à comprendre les lois déterminant la marche du monde. Les principes du raisonnement ont été codifiés par René Descartes en 1637 à Leiden en Hollande dans son célèbre ouvrage Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Ce fut l’avènement du raisonnement scientifique qui allait révolutionner le monde. Nous allons tenter d’analyser ce processus de recherche de la vérité dans les sciences à la fois avec ses forces et ses faiblesses.

La démarche scientifique

La démarche scientifique, héritière des principes de Descartes, a pour objectif de comprendre le monde tel qu’il est. Elle comporte plusieurs étapes qui se succèdent et parfois se chevauchent : l’identification d’une question, la recherche des réponses qui existent déjà dans la littérature, , la description et la quantification du phénomène à analyser, la formulation d’hypothèses, l’expérimentation quand elle est possible ou la formulation de modèles mathématiques, l’analyse critique et la publication. 

Pour beaucoup de scientifiques, la première étape, c’est-à-dire l’identification d’un problème à résoudre, est amenée par la curiosité, l’enthousiasme ou la passion pour un sujet. Pour d’autres, il peut s’agir tout simplement d’ambition. Pour d’autres encore, il peut s’agir d’un besoin exprimé par la société comme l’éradication d’une épidémie ou la mise au point d’une nouvelle arme.

La deuxième étape consiste à rechercher les informations qui existent déjà sur le sujet. L’essentiel du travail est bibliographique. Il est maintenant facilité par l’existence de bases de données qui regroupent toute l’information scientifique disponible et l’existence de moteur de recherches extraordinairement puissants qui interrogent ces bases en quelques secondes.

La troisième étape consiste à observer ou décrire un phénomène indépendamment de toute croyance. Cette observation qui peut être visuelle, olfactive, auditive ou relever des sensations du toucher, peut être décrite par un dessin, une photographie ou un écrit. Elle peut être quantifiée par une mesure. La mesure est une référence à une grandeur définie par des unités acceptées par l’ensemble de la communauté scientifique. L’appareil qui sert à la mesure peut être simple (un mètre par exemple) ou complexe (un chromatographe en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse). Quelle que soit la nature de l’appareil de mesure, celui-ci doit être fiable, c’est-à-dire donner le même ordre de grandeur pour un même paramètre mesuré dans les mêmes conditions par n’importe quel opérateur. La valeur mesurée n’étant jamais exacte, la précision de la mesure doit être connue. Il est donc nécessaire de connaître la fourchette dans laquelle se situe la valeur mesurée. En statistique, on parle d’écart type. Ces observations sont répétables et doivent pouvoir être refaites par n’importe quel chercheur dans les mêmes conditions. Si elles ne peuvent être faites que par un observateur ou une catégorie d’observateurs, elles ne relèvent pas de la science.

Ces observations lorsqu’elles sont faites en grand nombre peuvent être analysées par des méthodes statistiques qui permettent leur classement et l’établissement de liens de relation entre différents paramètres. Ces relations ne relèvent cependant pas de la cause et de l’effet. Elles restent du domaine de la description.

Dans une quatrième étape, des hypothèses peuvent être énoncées après analyse des faits observés et si possible mesurés. Le raisonnement logique permet d’établir des relations de causes à effets et, à un niveau plus élevé d’intégration, d’établir des concepts, des lois ou de décrire des structures ou des filiations, que la simple observation ne pouvait mettre en évidence. Ces lois, ses concepts ou ces structures contribuent à améliorer la connaissance que l’homme peut avoir du monde, de son histoire et de son fonctionnement. Le raisonnement logique qui permet d’approcher la vérité par étapes successives doit évidemment être mis en œuvre dans un contexte qui exclut tout aspect émotionnel, religieux, politique ou toute croyance non établie par un raisonnement scientifique. Le raisonnement logique est propre à l’homme et n’est donc pas l’apanage des seuls scientifiques. Il est cependant un élément clé de la démarche scientifique.

Les hypothèses proposées à partir des observations ou des mesures doivent évidemment pouvoir être validées. Nous arrivons ainsi à la cinquième étape, celle de la validation des hypothèses.

 L’hypothèse est un instrument dont il faut se servir pour arriver à la découverte de la vérité mais auquel il ne faut pas tenir. Il faut chercher à renverser les hypothèses, c’est-à-dire leur trouver la contre-épreuve (Claude Bernard).

La méthode la plus courante de validation est l’expérimentation. C’est la méthode la plus certaine et la plus fréquemment utilisée. En biologie, la méthode expérimentale a été rendue célèbre par Claude Bernard. Cette méthode consiste à déterminer comment un fait observé ou mesuré est affecté lorsque l’on fait varier un ou éventuellement plusieurs facteurs. La méthode expérimentale, doublée d’une analyse statistique, qui permet de faire la part entre le hasard, c’est-à-dire les facteurs non contrôlés, et les facteurs que l’on fait variés ou facteurs contrôlés, est un outil d’une grande puissance qui permet d’aller au-delà de la simple observation. Cette méthode permet cette fois d’établir des liens de cause à effet et donc de valider des hypothèses.

Elle n’est cependant pas applicable à tous les cas. En effet, certains domaines ne se prêtent pas à l’expérimentation, comme la paléontologie ou l’astronomie par exemple. Il faut donc avoir recours à d’autres méthodes.

Puisqu’une hypothèse déterminée implique des conséquences, il est possible de prédire un certain nombre de processus et de déterminer comment ils peuvent s’accorder avec les données ou les modèles existants. Ce type de démarche, plus difficile à mettre en œuvre, implique la plus grande rigueur. La modélisation est une forme de validation. A partir des données observées ou obtenues expérimentalement on peut établir des relations simples ou complexes entre différents paramètres et établir un modèle, le plus souvent mathématique. Un modèle est une représentation plus ou moins schématique d’un processus à partir d’une démarche raisonnée. Un excellent exemple est la modélisation des processus atmosphériques à partir d’observations météorologiques. Plus les observations sont nombreuses et précises, plus les équations mathématiques permettent de se rapprocher de la réalité et plus le modèle est fiable. Un modèle peut permettre de faire des prévisions, par exemple l’évolution du temps à court terme ou l’évolution du climat à long terme. Il existe actuellement divers modèles qui prédisent, avec des incertitudes plus ou moins grandes, le réchauffement de la planète lié à l’activité humaine et en particulier aux émissions de gaz à effets de serre.

Avant d’être considérées comme des vérités, ces nouvelles connaissances, doivent être validées, non pas uniquement par un chercheur ou une équipe, mais par l’ensemble de la communauté scientifique qui doit exercer une critique rigoureuse.

La dernière étape, la critique est un élément fondamental de la démarche scientifique. Il faut être certains qu’il n’y ait pas de biais dans l’observation ou l’expérimentation ou les calculs. Il faut donc que d’autres scientifiques puissent refaire les mêmes observations ou expérimentations et obtenir les mêmes résultats. La validation ne peut être obtenue qu’à cette condition. De même les hypothèses doivent être critiquées, vérifiées. Elles ne deviendront des vérités qu’à partir du moment où elles auront résisté à toutes les critiques. La critique de la communauté scientifique ne peut être effective que si les résultats d’un chercheur ou d’une équipe sont publiés, c’est-à-dire mis à la disposition de tous.

Il existe différents types de publications scientifique. La littérature scientifique primaire est constituée par des articles scientifiques qui relatent les avancées de la science et qui sont publiés dans des revues spécialisées. Ils ont toujours la même structure. Ils commencent par une introduction qui fait le point des connaissances acquises avec citations des auteurs qui ont contribué à ces connaissances. Le ou les auteurs de l’article décrivent ensuite avec la plus grande rigueur le matériel et les méthodes qu’ils ont utilisées. Ils donnent les résultats obtenus avec, lorsque cela est possible, les traitements statistiques. Ils discutent ensuite ces résultats en les comparant à ceux de leurs prédécesseurs. Ils terminent enfin par une conclusion qui peut prêter ou non à hypothèse. Ces articles ont en général au préalable été soumis à la critique de lecteurs arbitres qui sont des pairs, c’est-à-dire des collègues. Ces pairs se prononcent surtout sur la validité des méthodes utilisées et la rigueur du raisonnement. Une fois publiés, ces résultats sont soumis à la critique de la communauté scientifique qui les reprend, les confirme ou les infirme par d’autres articles et ainsi de suite.

A partir d’un certain stade, s’ils sont validés, ces résultats sont repris par la littérature dite secondaire. Ce sont les ouvrages de synthèse faits par des scientifiques, essentiellement pour des scientifiques ou les étudiants des universités en fin de cycle.

Si les résultats sont corroborés par d’autres scientifiques répétant des expériences voisines ou utilisant ces résultats pour de nouvelles investigations, ils s’intègrent aux connaissances dignes de confiance sur le plan scientifique.

L’activité de recherche génère de nouvelles connaissances qui doivent être enseignées. La littérature secondaire, décrivant les faits scientifiques, est reprise, ordonnée synthétisée dans les manuels d’enseignement.

La certitude ou le doute ne sont pas vécus de la même façon dans le monde de l’éducation et celui de la recherche. Lorsqu’un professeur enseigne, il transmet des connaissances à l’élève qui les reçoit comme des vérités validées à la fois par l’autorité du professeur et les manuels d’enseignement. Celui qui enseigne est par définition celui qui sait. De même, les livres d’enseignement sont considérés à un instant déterminé comme des sources sures de connaissances et de vérités. Ces ouvrages, au moment de leur rédaction, sont la compilation de tous les résultats de la science validés par la communauté scientifique. Ils sont considérés par les enseignants et les étudiants comme des sources fiables.

Les forces et faiblesses de la démarche scientifique

Une hypothèse admise, doit pouvoir être toujours remise en question, si de nouveaux faits viennent la contredire. C’est ainsi que la science progresse. Elle avance d’approximations en approximations. Un chercheur doit en permanence s’interroger sur l’état des connaissances, leur validité, la façon de les améliorer et éventuellement de les mettre en doute. Un scientifique est par définition critique et sceptique. Il s’interroge sur la réalité des connaissances. Il vit dans un monde en perpétuelle interrogation, en perpétuelle remise en question par ses pairs.  C’est l’ensemble de la communauté scientifique qui est le garant de la validité des connaissances à un instant donné. Les résultats sont en permanence soumis à la critique de la communauté scientifique qui les reprend, les confirme ou les infirme.

Les scientifiques sont comme les autres hommes. Ils peuvent se tromper involontairement. Les erreurs sont multiples dans l’histoire des sciences. Les erreurs sont inhérentes à la démarche scientifique. Elles résultent d’une mise en œuvre inadéquate de la démarche scientifique : utilisations de méthodes de mesures insuffisamment précises, protocole expérimental inadapté, erreur de raisonnement, insuffisance de l’état des connaissances du moment, trop grande complexité du sujet abordé. Ces erreurs seront rectifiées par ceux qui reprendront le travail. Mais le travail n‘est jamais terminé. La physique quantique par exemple n’est pas un domaine achevé : elle contient des paradoxes qui ne sont pas encore complètement bien compris, comme celui du chat ou paradoxe de Schrödinger[1] et celui du paradoxe EPR[2], bien que l’on ait accompli de grands progrès dans leur compréhension depuis le début des années 1980.

La démarche scientifique est en principe sans faille. Les erreurs involontaires sont inévitablement corrigées, comme d’ailleurs les erreurs volontaires qui s’apparentent à la fraude. La fraude consiste à fournir sciemment de faux résultats. Cependant, la réalité est plus complexe. Sans fournir sciemment de fausses données, certains scientifiques se basent sur des résultats expérimentaux douteux, mal interprétés et avancent des théories non fondées. La frontière est souvent floue entre la fraude délibérée et le manque de rigueur.

La théorie de l’hérédité des caractères acquis qui a vu le jour vers 1930 est célèbre. Pour des raisons idéologiques, cette théorie sans fondement a été soutenue par les dirigeants de l’URSS à partir de 1948 et jusque dans les années 1960. Pendant cette période, la génétique mendélienne a été bannie de l’Union soviétique. De nombreux scientifiques ont été destitués et certains exécutés. Le résultat a été un désastre à la fois pour la génétique en tant que science et pour l’agriculture en URRS.

Sous le régime nazi, des scientifiques ont aussi tenté de soutenir la théorie de la supériorité de la race aryenne. C’est ainsi que des chaires de biologie raciale ont été créées dans presque toutes les universités allemandes sous le régime nazi.

Le financement de l’activité scientifique par des sociétés privées à objectifs commerciaux, si elle est le plus souvent indispensable, peut avoir les mêmes effets que ceux de l’idéologie des états totalitaires. Les chercheurs qui bénéficient de tels financements peuvent en effet perdre leur libre arbitre et ne plus raisonner de manière objective. Pour éviter ces problèmes, dans la majorité des revues scientifiques, les auteurs d’articles doivent signaler l’existence ou non des conflits d’intérêt.

Si le financement par des sociétés privées ou des idéologies imposées par des états totalitaires sont sources de résultats douteux, les scientifiques eux-mêmes pour des raisons d’ego, ou autres, peuvent se laisser aller à la supercherie.

Un des exemples les plus connus est l’homme de Piltdown dont le crâne et une mandibule ont été découverts en 1908 en Angleterre. Cette trouvaille a été considérée comme le chainon manquant entre l’homme et le singe. Il d’agit en fait d’une supercherie ou fraude qui a induit en erreur la communauté scientifique pendant des dizaines d’années. En réalité, la boîte crânienne appartenait à un homme du Moyen-Âge et la mandibule était celle d’un orang-outang de 500 ans !

Depuis cette date, de multiples résultats douteux ont été publiés. Nous n’en citerons que quelques-uns. En juin 1988, la célèbre revue Nature publie un article signé de 13 chercheurs de l’Inserm/Université de Paris Sud et de diverses universités étrangères. Il est intitulé Human basophil degranulation triggered by very dilute antiserum against IgE ou en français Dégranulation de basophiles humains provoquée par de hautes dilutions d’antiserum anti- IgE.

Cet article, qui a fait l’effet d’une bombe dans le domaine scientifique et dans la presse, peut ainsi se traduire : L’eau pourrait conserver un souvenir, une empreinte, de substances qui y ont transité[3]. Cet article de Nature est cependant accompagné d’une réserve éditoriale :

Les lecteurs de cet article peuvent partager l’incrédulité des nombreux arbitres qui en ont commenté plusieurs versions au cours des derniers mois. L’essence du résultat est qu’une solution aqueuse d’un anticorps conserve sa capacité à provoquer une réponse biologique même lorsqu’elle est diluée à un point tel qu’il y a une chance négligeable qu’il y ait une seule molécule dans un échantillon. Il n’existe aucune base physique pour une telle activité. Avec l’aimable collaboration du professeur Benveniste, Nature a donc pris des dispositions pour que des enquêteurs indépendants observent les répétitions des expériences. Un rapport sur cette enquête paraîtra prochainement.

On peut s’étonner d’une telle réserve qui aurait dû entraîner le rejet de l’article et s’interroger sur les raisons du maintien de la publication[4]. Toujours est-il que quelques semaines plus tard, une enquête est menée par Nature qui conclue que les résultats de cet article n’ont aucune base scientifique. Les répercussions sont énormes et la communauté scientifique rejette massivement la théorie de la mémoire de l’eau[5]. Mais la controverse ne s’est jamais éteinte. La théorie de la mémoire de l’eau a été soutenue par Brian Josephson, prix Nobel de physique 1976. Jean-Marie Pelt, directeur de l’Institut Européen d’écologie de Metz, a déclaré en 1989 avoir refait ces expériences et obtenu des résultats semblables bien qu’il ne les ait jamais publiés[6]. Luc Montagnier, prix Nobel de médecine 2008 et codécouvreur du virus du Sida, a également soutenu Jacques Benveniste.  Rien n’est donc simple et cet exemple montre qu’une controverse n’est jamais totalement terminée, même si aucun argument sérieux ne peut être avancé en faveur d’une théorie plus que douteuse.

Il en est de même de la fusion froide ou fusion nucléaire supposée être possible à température et pression ordinaires.  Divers résultats ont été publiés sur cette possibilité par plusieurs chercheurs depuis le XIXe siècle, les plus connus étant Martin Fleischmann et Stanley Pons. Ces deux chercheurs ont annoncé le 23 mars 1989 à Salt Lake city par voie de presse qu’ils avaient réussi la fusion du palladium et du deutérium à température ordinaire par électrolyse avec comme électrolyte de l’eau lourde. En 1990, John Maddox a publié dans Nature un éditorial réfutant cette théorie, ce qui est la position actuelle de la très grande majorité des physiciens. Des travaux sont cependant toujours poursuivis dans cette voie et deux prix Nobel ont soutenu cette théorie : Julian Schwinger, prix Nobel de Physique 1965 et encore Brian Josephson, prix Nobel de physique 1976.

Plus récemment, les travaux de Gilles-Éric Séralini, professeur à l’Université de Caen, publiés en septembre 2012 dans le revue Food and Chemical Toxicology, ont suscité presque autant de polémique que la mémoire de l’eau ou la fusion froide. Cet article, intitulé Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize ou Toxicité à long terme de l’herbicide Roundup et d’un maïs génétiquement modifié tolérant au Roundup, tendait à prouver que le Roundup, dont le principe actif est le glyphosate, et le maïs transgénique Monsanto résistant au Roundup provoquait chez les rats Sprague-Dawley l’apparition de tumeurs cancéreuses. Cet article accompagné d’une mise en scène médiatique inappropriée a été retracted ou rétracté en 2013 par la revue avec les arguments suivants :

Sans équivoque, le rédacteur en chef n’a trouvé aucune preuve de fraude ou de déformation intentionnelle des données. Cependant, le nombre d’animaux dans chaque groupe d’étude et la souche particulière sélectionnée constituent une cause légitime de préoccupation. Le faible nombre d’animaux avait été identifié comme une cause d’inquiétude au cours du processus d’examen initial, mais la décision d’examen par les pairs a finalement estimé que le travail avait encore du mérite malgré cette limitation. Un examen plus approfondi des données brutes a révélé qu’aucune conclusion définitive ne peut être tirée de ce petit échantillon quant au rôle du NK603 ou du glyphosate en ce qui concerne la mortalité globale ou l’incidence des tumeurs. Étant donné l’incidence élevée connue des tumeurs chez le rat Sprague-Dawley, la variabilité normale ne peut être exclue comme cause de la mortalité et de l’incidence plus élevées observées dans les groupes traités.

 Il ne s’agirait donc pas d’une fraude au sens strict, mais de la mise en œuvre d’un protocole insuffisamment rigoureux. En raison des doutes résultant de cette étude, la communauté européenne a financé deux études similaires. Ces deux études ont été publiées en 2018 et concluent que le maïs transgénique NK 603, traité ou non avec du Roundup, n’a aucun effet sur l’apparition de cancers chez les rats. Ces résultats n’ont curieusement pas fait l’objet de battage médiatique et la polémique continue d’autant plus que Monsanto semble avoir fourni des résultats douteux sur l’absence de toxicité du glyphosate.

De multiples autres cas de fraudes scientifiques ou de manques de rigueur ont été récemment découverts et jettent un discrédit sur la science. Ces fraudes ou conduites inappropriées résultent de l’augmentation du nombre de scientifiques œuvrant dans le monde et de la pression que ces scientifiques subissent. On assiste en effet depuis 1980 à une multiplication exponentielle des publications scientifiques. Cette multiplication est due en partie au développement des outils numériques qui permettent de « mesurer » la productivité des chercheurs par leur nombre de publication et surtout par le nombre de fois qu’ils sont cités par leurs collègues. Leur carrière et l’accès au financement ne dépendent plus que d’indices numériques. On assiste ainsi à la multiplication de procédés contraires à l’éthique scientifique : auteurs multiples en échange de réciprocité, publications de résultats identiques sous des formes différentes, analyses douteuses des résultats, manipulations de résultats pouvant aller jusqu’à la fraude. Il en résulte une diminution de la qualité des publications au fur et à mesure que leur nombre augmente. Les universités ou les instituts de recherche sont conscients des problèmes et tentent de mettre en place des chartres de déontologie qui se révèlent parfaitement inefficaces. Ces institutions sont en effet prisonnières d’un système qu’elles ont elles-mêmes mises en place et qu’elles utilisent pour leurs propres évaluations internes ou pour asseoir leur notoriété ! Rares sont les sanctions prises [7]!

Conclusions

La démarche scientifique est universelle et permet à l’humanité d’avoir progressivement accès aux connaissances des lois qui régissent le monde. La science ne connait pas de frontières. La seule exigence pour appartenir à la communauté́ scientifique est d’adopter les règles de la démarche scientifique. Cette démarche est en principe sans faille. En effet si certains s’en écartent involontairement ou délibérément, les erreurs ou fraudes sont inévitablement rectifiées par ceux qui reprennent le flambeau. Les ratures, involontaires ou délibérées, ont toujours existé et n’empêchent pas la science d’avancer. Cependant, depuis quelques dizaines d’années, apparaît une dérive inquiétante liée à la subordination de la science à l’argent, à la médiatisation outrancière et la mise en place d’un système numérisé d’évaluation de la productivité des chercheurs. L’utilisation inappropriée de ce système pour le financement de la recherche et le déroulement des carrières entraîne de multiples entorses à la déontologie scientifique. Cependant, le côté obscur de la science s’efface toujours devant la réalité des faits. La pandémie de Covid 19 en est un excellent exemple et illustre bien comment les deux faces de la science peuvent coexister. Le travail collectif de milliers de chercheurs talentueux et d’entreprises privées, soutenues pour la plupart par des commandes massives d’états, a permis en un temps record de séquencer le virus et de mettre au point en quelques mois des vaccins parfaitement efficaces, évitant ainsi au monde une catastrophe majeure. Inversement, plus personne ne croit aux traitements à l’hydroxychloroquine dont l’efficacité contre le Covid 19 n’a jamais été prouvée. Cette sortie de route faisant fi de toute déontologie scientifique n’a pas empêché les chercheurs de différents pays de tenter de mettre au point des traitements réellement efficaces. Deux antiviraux empêchant la réplication du virus, le molnupiravir et le paxlovid, semblent très prometteurs et sont en cours d’évaluation accélérée aux États unis et en Europe[8].

En dépit des ratures qui jalonnent l’histoire des découvertes scientifiques, la science avance sans cesse. Elle est en perpétuel mouvement.  La colossale machine Science ne se repose jamais ; elle n’est jamais satisfaite ; elle est insatiable du mieux, que l’absolu ignore (Victor Hugo, 1864). 

Références

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Blanc Marcel, Chapouthier Georges et Danchin Antoine, 1980, Les Fraudes scientifiques, dossier de La Recherche, 113, 858-868.

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Davenas E., Beauvais F.., Amara J., Oberbaum M., Robinson B., Miadonna A., Tedeschi A., Pomeranz B., Fortner P., Belon P., Sainte-Laudy J., Poitevin B., Benveniste J., 1988.  Human basophil degranulation triggered by very dilute antiserum against IgE. Nature, 333, 6176, 816-818.

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Jacob François, Lehn Jean-Marie, Lions Pierre-Louis, 1998, Du nerf, http://www.lemonde.fr/medias/pdf_obj/dunerf.pdf

Mahase Elisabeth, 2021. Covid-19: Pfizer’s paxlovid is 89% effective in patients at risk of serious illness, company reports. BMJ, 375:n2713.

Painter W.P. et al., 2021. Human Safety, Tolerability, and Pharmacokinetics of Molnupiravir, a Novel Broad-Spectrum Oral Antiviral Agent with Activity against SARS-CoV-2. https://doi.org/10.1128/AAC.02428-20 

Pasteur Louis (réunies et annotées par Louis Pasteur Vallery-Radot), Œuvres de Pasteur (7 tomes), Masson, 1939.

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Darwin, Charles, 1864. De l’Origine des espèces par sélection naturelle ou des lois de tranformation des êtres organisés, traduit par Clémence Royer, nouvelle édition revue d’après l’édition anglaise de 1859, avec les additions de l’auteur, Flammarion, Paris.

Gingras Yves, 2018, Histoire des sciences, Paris, Presses universitaires de France, Paris, collection Que sais-je ? 

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Morgan, Thomas, Hunt, 1936. The Theory of the Gene, Yale University Press, New Haven.

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Seralini Gilles-Eric, Clair Émilie, Mesnage Robin, Gress Steeve, Defarge Nivolas, Malatesta Manuela, Hennequin Didier, Spiroux de Vendômois Joël, 2012. Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize. Food and Chemical Toxicology, 50, 11, 4221-4231.

[1] Erwin Shrödinger, physicien et philosophe autrichien, a imaginé une expérience jamais réalisée dans laquelle un chat est dans une superposition d’état, mort et vivant à la fois, comme le serait un photon à la fois onde et particule.

[2] EPR ou Einstein-Podolsky-Rosen, expérience imaginée par ces trois physiciens en 1935 pour tenter de démonter la non-validité de la physique quantique.

[3] Jacques Benveniste, 2011, Ma vérité sur la mémoire de l’eau.

[4] Il n’a jamais été possible de savoir pourquoi Nature a décidé de publier cet article alors que la revue avait toutes les raisons pour le rejeter.

[5]  L’unité 200 de l’Inserm dirigée par Jacques Benveniste était financée en partie par des contrats avec les laboratoires Boiron et d’autres laboratoires homéopathiques.

[6] Article sur la mémoire de l’eau paru en mai 1989 dans la revue Newlook. 

[7] L’ex-présidente du CNRS par intérim et employée du CEA a été mise à pied deux semaines en 2020 pour inconduite scientifique.

[8] Les autorités sanitaires de Grande-Bretagne ont déjà autorisé la mise sur le marché du molnupiravir.