Pasteur s'est construit, a été construit, déconstruit.

Il faut maintenant commémorer sa naissance.

Hervé This

Académie d'Alsace

“Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains”, a dit Flaubert (1857). Mais, à propos de savants du passé, n’y gagnerions-nous pas un peu à cueillir quelques parcelles brillantes que nous pourrions faire fructifier ?

L’année 2022 sera le bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur  (il naquit le 27 décembre 1822), et la question est d’organiser utilement cette commémoration. Cela n’est aussi simple que de son vivant, car nous savons aujourd’hui parfaitement que Pasteur fut d’abord célébré pour ses travaux scientifiques, avant d’être héroïsé par le pouvoir politique, en l’occurrence Napoléon III et son épouse, puis par  la Troisième République. Les historiens et ses contemporains (Valléry-Radot, 1900 ; Langevin, 1945 ; Raichwarg, 1995 ; Debru, 2007) ont bien montré  qu’il savait mettre en scène ses résultats, se faire une large publicité, élaborer sa propre statue, mais c’est un fait indéniable que Pasteur s’engagea activement pour le bien de la société.

On ne reviendra pas ici sur les détails de sa carrière, mais on observera d’abord qu’il fut de plusieurs régions, avant d’arriver à Paris, et de rayonner largement. Venu de Franche Comté, il étudia à Paris, travailla d’abord à Dijon, rencontra sa parfaite épouse, la fille du doyen Laurent, à Strasbourg, puis fut doyen  à Lille, et revint à Paris. Puis, pour ses études, il n’hésita pas à se rendre sur les sites utiles : Pont-Gisquet (près d’Alès), pour étudier les maladies du ver à soie ; Clermont-Ferrand pour étudier les maladies de la bière; le sud-est pour le rouget des porcs, etc. Enfin il essaima, avec des instituts Pasteur et de nombreux élèves, dont Alexandre Yersin, Emile Roux, etc. Bref, nombre d’Académies des sciences, arts et lettres peuvent légitimement célébrer les travaux de Pasteur.

La part des choses

Comment pouvons-nous évoquer le “savant” et son œuvre, sans tomber dans l’hagiographie des premiers temps, ni dans la critique excessive d’historiens  qui n’ont pas toujours vu que, en sciences de la nature, l’audace et la conviction sont souvent la marque de la véritable découverte ? Notre confrère Claude Debru écrit ainsi justement que “Saisir l’inconnu à l’aide d’outils moins sûrs qu’on ne le croit appartient aux esprits qui vivent avec la nature ce dialogue singulier de questions d’abord mal posées et de réponses d’abord mal entendues, au terme duquel s’établit l’étrange certitude d’une rationalité indice d’une vérité objective” (Debru, 2007). Quand Pasteur dit “Y penser toujours”, il n’est pas modeste, mais les témoignages montre qu’il ne ment pas : sa vie fut de labeur, de rigueur, d’austérité, d’étude.

Alors comment organiser nos célébrations ? Les historiens les plus rigoureux ont eu raison de signaler -sur pièces- que d’autres, avant Pasteur, avaient bien vu ce dont on a crédité notre chimiste, et oui, Pasteur a su raconter a posteriori des histoires de ses découvertes sous un jour plus beau qu’il n’avait été. Par exemple, deux conférences données en 1860 devant les membres de la Société Chimique de Paris, à propos de la chiralité, gomment les hésitations et font apparaître le travail effectué très magistral, mais le grand Carl Friedrich Gauss, à qui l’on ne conteste pas ses découvertes mathématiques, ne publiait-il pas, tardivement, des résultats dont les preuves ne portaient plus de marques de la transpiration qui n’épargne pas les “génies” ? .

Par exemple, un des maîtres de Pasteur, Gabriel Delafosse, avait envisagé la dissymétrie moléculaire avant son élève, et les grandioses visions stéréochimiques de ce dernier étaient des généralisations excessives. Par exemple, malgré les gesticulations publiques de Pasteur contre les savants allemands (Justus von Liebig, Robert Koch), il n’avait pas raison, dans les controverses relatives aux fermentations (Kohler, 1971). Par exemple, ses réfutations de la génération spontanée ne valent pas les travaux ultérieurs de John Tyndall. Et ainsi de suite pour de nombreux travaux.

D’ailleurs,  l’œuvre de Pasteur est parfois “problématique”, avec des antériorités qui méritent d’être discutées, de sorte que la véritable question qui se pose à nous est de bien identifier ce qui lui revient exactement.

Attirer les talents vers les sciences et les technologies

Car l’enjeu est de taille :  sans tomber dans les caricatures excessivement élogieuse, nous aurions tort de ne pas profiter de l’année qui vient pour bien expliquer les questions qui se posaient, et la solution qui leur a été donnée, en vue d’attirer des jeunes vers les sciences, la technologie.

La tâche n’est pas simple, d’autant que le caractère de Pasteur n’était guère facile, comme le démontra son passage à la direction des études de l’École normale supérieure : comment nos jeunes amis d’aujourd’hui trouveraient-ils sympathique un directeur qui provoqua démission collectives, exclusions, indignation publique ?  Au fond, Pasteur, comme peut-être Pierre-Simon de Laplace (opportuniste au point de s’attirer le dédain de ses collègues) ou Justus von Liebig (un tempérament exécrable, au point que le bon et doux Friedrich Wöhler fut un des rares collègues qui ne se brouilla pas avec lui), sont d’excellents cas d’école, pour une réflexion générale sur les célébrations des avancées scientifiques (Brock, 2002; Rouse Ball, 1908) :  désincarnée, l’histoire des sciences de la nature ne permet pas bien de comprendre les hésitations de nos prédécesseurs, leurs erreurs éventuelles, ni d’apprécier la grandeur des réalisations ; trop focalisée sur les acteurs de ces découvertes, elle ne présente pas toujours l’aspect aimable que des amoureux des sciences de la nature voudraient trouver (on se souvient du « La science doit rendre généreux et honnêtes tous ceux qui la cultivent » du doux Michael Faraday (Tyndall, 1869).

Au fond, il y a peut-être plus de vertu pédagogique à dire le vrai des gens de science, en liant leurs qualités et leurs défauts à leurs travaux, en les laissant bien humains, au lieu d’en faire des héros inaccessibles. D’ailleurs, à mieux apprécier l’état réel des questions avant les avancées des savants, on voit mieux la véritable méthode scientifique, l’importance de ce hasard qui sourit aux esprits préparés, on évalue mieux l’importance de la collectivité dans des travaux parfois attribués excessivement à un seul. Et puis, il y a le legs, les élèves, et cela est essentiel, n’est-ce pas ?

Références

Brock WH. 2002. Justus von Liebig: The chemical gatekeeper, Cambridge University Press, UK.

Darmon P. 1994. Pasteur. Fayard, Paris.

Debru C. 2007. L’interdisciplinarité et la transdisciplinarité dans l’oeuvre de Louis Pasteur, Planet Vie, ENS, Paris. https://planet-vie.ens.fr/thematiques/themes-transversaux/l-interdisciplinarite-et-la-transdisciplinarite-dans-l-oeuvre-de

Flaubert G. 1857. Madame Bovary, Michel Lévy frères, Paris.

Geison GL. 1995. The private science of Louis Pasteur, Princeton University Press, Princeton, USA.

Kohler R. 1971. The background to Eduard Buchner’s discovery of cell-free fermentation. Journal of the History of Biology. 4 (1): 35–61.doi:10.1007/BF00356976. ISSN 0022-5010. PMID 11609437.

Langevin P. 1945. Pasteur, le savant et l’homme, La Pensée, Paris.

Raichwarg D. 1995. Louis Pasteur, l’empire des microbes, Gallimard, Paris.

Rouse Ball WW. 1908. A short account f the history of mathematics, https://www.maths.tcd.ie/pub/HistMath/People/Laplace/RouseBall/RB_Laplace.html.

Tyndall J. 1869. Letter of Michael Faraday to Sir Humphry Davy, 1812. Longmans, Green and Co, London. https://www.gutenberg.org/ebooks/1225

Vallery-Radot R. 1884. M. Pasteur : histoire d’un savant par un ignorant, J. Hetzel et Cie, Paris.

Vallery-Radot R. 1900. La vie de Pasteur, Hachette, Paris.