SYNDROME DE DIOGÈNE

Jacques Boucharlat

Académie Delphinale

I-INTRODUCTION : à partir d’une expertise personnelle et des remarques  d’assistantes sociales insistant sur les problèmes soulevés par l’inflation des cas, nous pensons utile de revenir sur ce syndrome de Diogène dont la description est récente.

II-DÉFINITION: Le syndrome de Diogène est un syndrome décrit par la gériatre américaine Allison N. Clark en 1975  pour caractériser un trouble du comportement conduisant à des conditions de vie négligées, voire une négligence parfois extrême de l’hygiène corporelle et domestique, une accumulation d’objets hétéroclites, nommée également syllogomanie, ,un déni de son état, un isolement social, un refus d’aide concernant cet état, celle-ci étant vécue comme intrusive.

En 1966, deux psychiatres anglais, Mac Millan et Shaw, publient une étude sur 72 personnes âgées vivant dans des conditions d’hygiène personnelle et domestique inquiétantes9. Ils avaient constaté chez ces patients un effondrement de leur norme de propreté personnelle et d’environnement et avaient appelé ce tableau « syndrome de décompensation sénile ».

A-Référence historique : pourquoi l’avoir appelé ainsi ?

Diogène de Sinope, également appelé Diogène le cynique, est un philosophe grec de l’Antiquité et le plus célèbre représentant de l’école cynique. Il est né à Sinope en 414 et décédé à Corinthe en 327 avant J.C. Il est contemporain de Philippe II de Macédoine et de son fils Alexandre le Grand qui lui a rendu visite.

Il a profondément frappé ces concitoyens par son comportement. En effet, Il vivait dans le dénuement le plus complet et dormait dans une grande jarre couchée sur le flanc. Dénonçant l’artifice des conventions sociales, il préconise une vie simple, la plus proche de la nature, afin d’obtenir une plus grande indépendance vis-à-vis des biens matériels, une plus grande liberté morale. Il accumulait parfois des objets inutiles.

Ses apostrophes sont célèbres:« Je cherche un homme », reprochant à ses concitoyens leur manque de sagesse et de fraternité. « Ôte-toi de mon soleil », réplique faite à Alexandre le Grand, qui est aimablement venu le voir et qui lui a demandé s’il pouvait l’aider. Il  montre ainsi son dédain pour toute hiérarchie.

III-Diagnostic :

A-Diagnostic positif : Le syndrome associe: une tendance à accumuler des objets inutiles, une négligence  de l’hygiène, un isolement social  Le syndrome de Diogène fait partie de la Syllogimania ou thésaurisation pathologique d’objets en tout genre ; journaux, boites vides, photos, dénués de toute valeur d’usage. En raison de la négligence de nettoyage,  les lieux se transforment en taudis. Il s’établit une Continuité particulière entre ces personnes et les choses déchues. On les dénomme parfois mendiants thésauriseurs, pluckhline.

La Conséquence est l’Isolement social !  La personne  en arrive à vivre presque recluse chez elle, Se pensant en situation de pauvreté extrême, elle essaie d’économiser le plus possible. Elle accumule surtout de grandes quantités de d’objets sans utilité immédiate, ce qui  l’amène à vivre dans des situations insalubres.  Le sujet circule alors à travers un véritable sentier tracé entre deux rives de papiers journaux, de publicités, de paquets vides, atteignant le plafond, sentier qui relie les pièces, la cuisine, la chambre, l’entrée. Les photographies familiales, les souvenirs de son enfance heureuse trônaient sur un meuble qui émergeait de ce chaos. C’est ce que j’ai pu constater par moi-même lors de mon expertise. C’est comme si il n’existait plus de séparation entre les choses et l’individu placé hors du monde

BDiagnostic Différentiel : la névrose obsessionnelle. Devant ces actes compulsifs, répétitifs et conjuratoires, qui ont abouti à cette accumulation dérisoire, on est en droit de l’évoquer. Elle est caractérisée :

  1. a) par la présence de symptômes idéiques.
  2. a) L’Obsession : c’est l’irruption dans la pensée d’un sentiment  d’une idée  d’une tendance  en désaccord avec la pensée consciente, persistante malgré les efforts pour s’en débarrasser. On distingue : L’obsession phobique, (crainte maladie, microbe, toxique, saleté), l’obsession idéative (ruminations, folie du doute, idées concrètes, abstraites : vie et mort, morale), l’obsession impulsive (commettre un acte absurde, immoral, criminel). Ces symptômes ne correspondent pas à ceux du syndrome de Diogène.
  3. b) Par des actes : les Compulsions, les rites sont des actes auquel le sujet se sent contraint. Ils ont valeur conjuratoire, afin d’obtenir la sédation de l’angoisse (Rites de lavage notamment le lavage des mains, les rites de vérification, de retour en arrière). Ces caractéristiques psychologiques sont  de sens opposé aux désirs refoulés : les désirs de saleté, d’agressivité sont transformés en propreté, soumission sous l’effet des formations réactionnelles face à l’émergence des pulsions sadiques anales, du déplacement, de la sublimation. Ils partagent avec les comportements du syndrome de Diogène la même valeur défensive.

Mais la personnalité obsessionnelle, caractérisé par le goût de l’ordre, de la propreté, le rangement, s’oppose de façon évidente au désordre du syndrome de Diogène, et fait éliminer ce diagnostic. Ce n’est  que dans une forme spéciale de névrose obsessionnelle, la Syllogomanie, accumulation compulsive d’objets inutiles sans possibilité de les jeter, que l’on peut évoquer le syndrome de Diogène.

C- Diagnostic étiologique : .La recherche des causes : On retiendra :

1- Du côté des troubles mentaux organiques : Il peut s’agit de démences fronto- temporales, d’Alzheimer. Dans la démence, le fonctionnement intellectuel est perturbé : l’attention, l’orientation temporo-spatiale, la mémoire, le langage, le raisonnement et le jugement sont touchés Selon la plupart des auteurs, ces troubles démentiels débutants  seraient retrouvés dans 30 à 80% des cas. C’est donc la cause principale du syndrome, mais ce n’était pas le cas de notre patiente, car à  l’examen, le contact était très bon,  la relation courtoise, la personne ne présentait pas de déficits neurologiques ni cognitifs. Le langage était  très satisfaisant .Il n’existait pas de signes de démence chez notre patiente, bien que ce comportement aberrant, cette accumulation de déchets nous interrogeait.

2- Du côté des Psychoses.

Certains auteurs ont retenu l’existence de Psychoses, En effet, Devant ce comportement aberrant, cette accumulation de déchets reposant sur un jugement faux, devant la conviction inébranlable, et le refus d’aide du sujet, on peut évoquer un délire chronique de persécution, de préjudice.

3-Du côté des troubles thymiques. Mais dans ce cas, il existe des idées délirantes de culpabilité, d’indignité. Ce qui n’était pas le cas dans l’observation rapportée. Il n’existait ni délire, ni mélancolie.

4-Du côté des Névroses: puisque le système de réalité n’est  pas altéré.

a) C’est la syllogomanie, rattachée à la névrose obsessionnelle, qui se rapproche  le plus du syndrome de Diogène par la tendance à la répétition des actes compulsionnels, de véritables rituels conjuratoires, son goût pour le collectionnisme et l’accumulation des biens. Elle établit un pont entre la névrose obsessionnelle et le syndrome de Diogène. En effet, elle partage avec lui le désir d’accumuler, le goût de la possession, de la collection qui  conduit le sujet à amasser des objets inutiles. Mais elle s’en éloigne et s’oppose à la névrose obsessionnelle dans son goût du désordre et de l’incurie.

b) La Névrose traumatique, peut être retenue en raison de l’existence d’événements vitaux, de Stress entrainant des troubles de l’adaptation, puis une régression, un retour à des comportements infantiles inadaptés, un retour à des formes antérieures de satisfaction. D’où la dépendance passive et infantile mêlée de revendication, .la recherche de gratifications affectives, de réparation du préjudice, besoin d’estime et d’intérêt pour se revaloriser. Elle se traduit par des troubles fonctionnels,  somatisation, phobie, mais aussi investissement d’objets, une réorganisation de la personnalité, une dépression qui entraine le repli, l’isolement, le sentiment de  dévalorisation.

C’est ce qui illustre notre observation. Dans notre expertise, cette personne avait vécu la révolution égyptienne de 1952 qui avait entrainé l’expulsion de sa famille, alors qu’elle était reçue régulièrement par le roi. Farouk  Elle expliquait l’accumulation par les difficultés d’évacuation des déchets et surtout par son désir de conserver des souvenirs. En effet, les photographies concernant la partie de sa vie heureuse en Égypte, au milieu de sa famille et de ses amis figuraient en bonne place, bien alignés dans le salon et ne se mélangeaient pas avec les déchets accumulés depuis des années. Elle vivait seule, paraissait isolée, mais ne se plaignait pas de difficultés financières.

D- psychopathologie : Comment expliquer cette conduite aberrante ?

En cas d’événements vitaux, de stress grave, de dégénérescence neuronale, on peut assister à un bouleversement émotionnel réorganisant la personnalité au  retour -à des formes antérieures de satisfaction sur le plan relationnel et sur le plan de la structuration du comportement qui s’accompagne d’angoisses terrifiantes. Cette angoisse peut  être  colmatée par l’accumulation de bons objets donc conjuratoires.

Dans le syndrome de Diogène, il y a régression objectale, c’est-à-dire retour à d’anciens objets de satisfaction, mais aussi régression libidinale, retour à un stade libidinal antérieur, à un mode dépassé de comportement.

C’est le retour de la Pensée magique,  ensemble de représentations  et de conduites destinées à obtenir la réalisation de désirs,  le retour de la Pensée préopératoire : L’enfant âgé de 2 à 6 ans: peut croire que tout ce qui bouge est vivant, croire aux pouvoirs magiques des parents, croire qu’il est toujours le centre de l’univers. La pulsion de vie va le pousser à introjecté les « bons objets », les mauvais étant projetés selon Mélanie Klein.

Puis, vers six ans,  l’enfant accède normalement au  stade des opérations concrètes qui  est marqué par le raisonnement  sur les données constantes, reproductibles, communicables, la diminution de l’égocentrisme, de la pensée magique (Père Noël),  grâce à l’utilisation du langage et à l’accès au symbolisme, qui est la capacité de représenter une chose par une autre, de différer la satisfaction des désirs, la capacité de supporter l’absence et la solitude.

Pour expliquer ce besoin d’’accumulation de bons objets, il faut faire appel à la conception freudienne du clivage du Moi et d’objet fétiche : L’instinct sexuel est dérivé vers un objet matériel substitut d’objets partiels du nourrisson, le sein, les selles. Les objets accumulés sont considérés comme des cadeaux gratifiants, des souvenirs des temps heureux, de véritables fétiches, conjurant le mauvais sort.

D’autre part, le déni de réalité coexiste avec le clivage du Moi, ce qui permet à une partie du Moi de tenir compte de la réalité, l’autre servant à organiser le désir du bonheur. Ainsi se réalise la cohabitation entre la réalité et l’imaginaire. Le moi peut être préservé des débordements pulsionnels et peut maintenir son adaptation au réel. L’image de soi, le Narcissisme restent intacts.

E-Traitement  dépendra de la formation du médecin et de son point de vue.

  1. a) La personnalité évoque la syllogomanie

Le point de vue neurobiologique amène à la prescription de médicaments antidépresseurs et de neuroleptiques.

Le point de vue comportementaliste tend à créer de nouvelles habitudes, obtenir l’abandon des conditionnements pathologiques, source d’angoisse. Il s’avère possible de les  désapprendre.

Le point de vue psychanalytique : I s’agit de tenter de maitriser un conflit intérieur structurant le psychisme depuis l’enfance, qui  repose sur l’ambiguïté du développement de l’identité sexuelle. La régression transforme les intentions érotiques œdipiennes en intentions agressives et destructrices. Les Défenses contre l’angoisse sont le clivage, le déni, l’annulation, l’isolation, les formations réactionnelles qui instaurent des attitudes de sens opposé à celui des tendances réprimées, aux désirs refoulés (propreté contre saleté, soumission contre agressivité). L’indication est inconcevable en raison des troubles aux confins de la psychose et l’âge avancé reste un handicap certain.

  1. b) La clinique est en faveur du syndrome de Diogène typique: le traitement reste identique. Les symptômes, l’anxiété, l’insomnie, la dépression seront  traités par les médicaments anxiolytiques et antidépresseurs. Certains ont préconisé l’hypnose. Mais l’échec survient le plus souvent en raison des résistances psychologiques.
  2. c) dans les deux cas, l’internement, suggéré par l’intensité de l’‘incurie et de ses conséquences sur l’hygiène de l’immeuble, peut se poser, mais est injustifié, car le fonctionnement mental reste satisfaisant pendant longtemps, ce qui pose le problème de la liberté individuelle à respecter. C’est en raison du Déni et du clivage du Moi que l’adaptation au réel se maintient. L’hospitalisation est inutile, car favorisant la dépendance et la régression. Le suivi social repose sur la confiance et la réassurance, mais est souvent désespérant. Le maintien de l’hygiène est impératif, mais difficile à mettre en place sans coercition, ce qui place les équipes municipales chargées de maintenir l’hygiène dans des situations difficiles. L’âge avancé, le manque d’hygiène, favorise la survenue de complications infectieuses qui nécessitent l’orientation, enfin acceptée, vers une institution.

Sur le plan Épidémiologique  on note un  accroissement progressif des cas, Paris : voit ses arrêtés préfectoraux émis  par le service technique de l’habitat passés de:20, en 2006, à 148  en 2016. La Ville de Québec mentionne 100 cas par an. Cette  Tendance à l’accroissement semble liée au vieillissement de la population, au développement de la société de consommation, à l’accumulation des cartons et des documents  publicitaires déposés dans les boites aux lettres.

III-Réflexions,

Philosophiquement, le modèle de la société de consommation repose sur des principes.

La vision du monde qu’elle propose est matérialiste, tout est matière.

Le monde est vu d’un  point de vue marchand, commercial, économique

Le risque étant le fétichisme de la marchandise qui  conduit à l’aliénation (Marx)

Le rapport à autrui  en est modifié. Les relations sociales deviennent de simples moyens d’échange et par-là même risquent de devenir artificielles.

Les biens matériels proposés par la publicité deviennent de « bons objets »et viennent ainsi colmater la béance existentielle et apaiser l’angoisse.

IV-Conclusion : L’apparition et l’inflation  d’une nouvelle pathologie liée aux modes de vie sociale est inquiétante. La Société de consommation  est prise dans un conflit paradoxal : rechercher le Bien- être de ses concitoyens et favoriser  l’isolation de certaines personnes atteintes de syndrome de Diogène. Celui-ci se situe au carrefour, aux confins de la Nosologie, aux limites de la démence, de la psychose, de la névrose. Le DSM V pourrait peut-être le classer dans les troubles de l’adaptation chronique.

Bibliographie

Th.Lempérière, Psychiatrie de l’adulte  édition. Masson

  1. Porot, Manuel alphabétique de Psychiatrie édition .PUF,

Laplanche et Pontalis, vocabulaire de la Psychanalyse. Édition. PUF

Ph.Jeammet  Psychologie médicale édition. Masson

DSM V édition Masson

Le syndrome de Diogène. Wikipédia