Transition énergétique, fiction ou réalité ?

François Le Tacon

L’idée de transition énergétique est née vers 1975. Son objectif est de remplacer à plus ou moins long terme les énergies fossiles ou nucléaires par des énergies renouvelables. L’analyse de la consommation énergétique mondiale de 2019 montre que cette transition n’a nullement débuté malgré de nombreuses conférences ou appels à réduire la consommation d’énergie fossile et en corollaire l’émission de gaz à effet de serre. L’analyse de différents scénarios à l’horizon 2050 montre qu’une transition énergétique tablant sur 75 ou 80% d’énergie renouvelable est impossible. Un second scénario à 70% d’énergie fossile est techniquement possible, mais serait incompatible avec une réduction de l’émission des gaz à effet de serre ou de la pollution et la préservation de l’environnement. La maîtrise de l’énergie de fusion, à potentiel illimité et non émettrice de CO2, est pour l’instant hypothétique. Son exploitation industrielle ne pourrait avoir lieu avant 2050. Une autre voie est possible : la stabilisation de la population mondiale et la réduction de la consommation d’énergie per capita. Mais le monde ne semble pas prêt à s’orienter dans cette direction.

 

Introduction

 

Depuis plusieurs décennies, il est apparu évident que l’humanité, si elle voulait survivre, devait modifier profondément sa consommation énergétique et plus généralement son mode de vie. En 1972, la conférence de Stockholm et le rapport Meadows, Limit to growth, appuyé par le Club de Rome, ont attiré l’attention du monde sur l’impossibilité d’une croissance démographique et économique sans limite dans un monde fini. En 1975, est apparue l’expression transition énergétique, un aspect de la transition écologique, dont l’objectif est de remplacer les énergies fossiles ou nucléaires par des énergies dites renouvelables (Fressoz, 2014). L’opinion publique et les États se sont emparés de ce concept. Depuis la conférence de Stockholm en 1972, les États tentent de mettre en place une politique de protection de la planète en essayant de limiter entre autres les émissions de gaz à effet de serre.

Depuis 1995, a lieu chaque année sous l’égide des Nations Unies, une COP ou Conférence of Parties dont l’objectif est de limiter le réchauffement climatique en réduisant l’utilisation de l’énergie fossile. À la suite de la COP 3 et la signature du Protocole de Kyoto en 1997, les États signataires se sont engagés à réduire d’au moins 5% les émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990. L’Europe des vingt-sept tente de suivre ces directions et d’aller au-delà : le conseil de l’Europe s’est récemment accordé pour un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici 2030 par rapport à 1990.

Les recommandations non contraignantes sont très diversement suivies selon les pays. En Allemagne, après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, Angela Merkel a décidé de fermer toutes les centrales nucléaires du pays avant 2022. Actuellement il ne reste plus que quelques centrales nucléaires en activité. En contrepartie, l’Allemagne a développé l’utilisation des ressources énergétiques renouvelables et en particulier l’éolien, tout en restant le premier émetteur de gaz carbonique d’Europe. En France une loi intitulée transition énergétique pour la croissance verte a été adoptée le 18 août 2015. Ses principaux objectifs sont de réduire la consommation d’énergie de 50 % en 2050 par rapport à 2012, de réduire la consommation d’énergie fossile de 30 % en 2030 par rapport à 2012, de porter la part de consommation d’énergie renouvelable à 32 % en 2030 et de réduire la part du nucléaire à 50% dans la production d’électricité en 2025. D’autres pays développés ont eu une politique inverse comme les Etats unis qui se sont lancés dans l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste et sont devenus le premier producteur et consommateur de pétrole du monde.

Ces politiques contradictoires traduisent les difficultés des États à définir des orientations claires qui permettraient à l’humanité de maîtriser son approvisionnement énergétique. Nous allons tenter d’analyser la situation énergétique du monde en 2019 et de déterminer les évolutions futures possibles.

Les différentes sources d’énergie utilisées en 2018 et 2019

 

Nous nous basons essentiellement sur la soixante-neuvième édition de Statistical Review of World Energy[1] publiée par la compagnie britannique British Petroleum et accessoirement sur d’autres évaluations.

 

Source d’énergie

 

Consommation

en exajoules

 

Différence avec l’année

précédente en exajoules

 

Part de l’énergie totale en %

 

 

Différence avec l’année

précédente en part et en %

 

Pétrole1931,633,1-0,2
Gaz141,52,824,20,2
Charbon157,9-0,927,0-0,5
Renouvelables293,25,00,5
Hydroélectricité37,60,36,40,0
Nucléaire24,90,84,30,1
Total583,97,7  

Tableau 1.  Contribution mondiale des différentes sources d’énergie primaire exprimée en exajoules[2] en 2019 et évolution par rapport à 2018. Source BP Statistical Review of World Energy 2020. Les sources renouvelables incluent les biocarburants mais excluent l’hydroélectricité qui est comptabilisée séparément.[3] L’énergie primaire diffère de l’énergie utile ou finale en raison des pertes liées au processus de transformation (raffinage et autres).

La consommation totale d’énergie dans le monde a été de 583,9 EJ (exajoules) en 2019 ou 13,9 Gtep[4] (Gigatonnes d’équivalent pétrole) ou encore 162 194 TWh (Terawatt-heure), en évolution de +1,34% par rapport à 2018. De 2008 à 2018, la croissance annuelle de la consommation d’énergie a été en moyenne de 1,6 %. Il est probable que la consommation 2020 sera du même ordre de grandeur que celle de 2019 ou en légère diminution en raison de la pandémie de Covid 19. Selon l’IEA (International Energy Agency), la consommation mondiale d’énergie primaire a chuté de 3,8 % au cours du premier trimestre 2020 par rapport à celui de 2019[5]. L’augmentation reprendra à partir de 2021/2022 à un rythme probablement accéléré.

Sans surprise, la première source d’énergie en 2019 a été le pétrole avec 33 % de la consommation totale. On notera une légère diminution par rapport à 2018. Cette baisse a été à peu près compensée par une augmentation de la consommation de gaz naturel qui représentait 24,2% du total. Le charbon, avec 27 %, était la seconde source d’énergie en diminution de  0,5% par rapport à 2018. Les énergies renouvelables ne représentaient que 5% du total mais en augmentation de 0,5 % par rapport à 2018. Si on ajoute l’hydroélectricité dont la production est restée stable entre 20218 et 2019, les ressources renouvelables contribuaient à 11,4% de la consommation totale en 2019 et le nucléaire à 4,3%. On retiendra qu’en 2019 84,3% de la production primaire d’énergie ont été d’origine fossile. On soulignera aussi que l’augmentation de la consommation totale d’énergie de 2019 par rapport à 2018 a été assurée à 57% par de l’énergie fossile (gaz, 36,3% et pétrole 20,7%) et à 41,5 % par le renouvelable en y incluant l’hydroélectricité. En conséquence, les émissions de gaz carbonique provenant de l’utilisation de l’énergie fossile ont augmenté de 0,5 %, en 2019 par rapport à 2018. Sur les dix dernières années elles ont été en moyenne en augmentation de 1,1 % par an.

La transition énergétique, c’est-à-dire le remplacement au moins partiel de l’énergie fossile par l’énergie renouvelable prônée depuis près de 50 ans, ne s’est donc toujours pas traduite dans les faits entre 2018 et 2019, pas plus que durant ces dix dernières années. Si l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre n’a été que de 0,5 % en 2019, elle a été de 2,1% en 2018. Cependant, si l’on compare l’évolution de la consommation des différentes sources d’énergie entre 1999 et 2019, on constate que la proportion d’énergie renouvelable hors hydroélectricité est passée de moins de 1% à 5% de la consommation totale, ce qui est significatif, mais n’a rien à voir avec les objectifs fixés par les différentes COPs (Figure 1).

Figure 1.  Contribution mondiale des différentes sources d’énergie primaire exprimée en exajoules (en ordonnée) de 1994 à 2019 (années en abscisse). Adapté de BP Statistical Review of World Energy 2020.

La question est maintenant de savoir si une évolution est envisageable dans les prochaines décennies pour répondre aux objectifs des différentes COPs et assurer à l’humanité un futur acceptable.

Les besoins énergétiques en 2050

 En 2019, la consommation totale d’énergie a été d’environ 2 tonnes d’équivalent pétrole (tep) par habitant pour un peu moins de 7 milliards d’individus, en sachant que la plupart des habitants des pays développés consomment annuellement plus de 5 tep. En 2050, selon toutes les prévisions, la population humaine atteindra au moins 10 milliards d’individus. Si la consommation per capita était alors équivalente à celle de 2019, la consommation totale d’énergie serait de 20 Gtep ou 836 exajoules soit une augmentation d’un peu moins de 50% par rapport à 2019. Selon le scénario de L’EIA américaine (Energy Information Administration) de 2020, la consommation mondiale d’énergie pourrait augmenter dans un même ordre de grandeur, c’est-à-dire de 46,9 % de 2018 à 2050, dont 70% fans les pays en voie de développement. (Annual Energy Outlook 2020 with projections to 2050)[6]. D’autres études prévoient de doubler l’utilisation d’énergie en 2050 pour un triplement de la richesse mondiale localisé essentiellement dans les pays émergents ou en développement.

Les possibilités des différentes sources d’énergie dans le futur

 L’énergie renouvelable ou énergie de flux

L’énergie solaire reçue annuellement par la terre est environ 10.000 fois la quantité totale d’énergie actuellement consommée par an dans le monde. En dehors de l’énergie solaire (capteurs solaires, biomasse, éolien, énergie hydraulique), il existe deux autres sources, l’énergie géothermique et l’énergie des marées.

Capteurs solaires photovoltaïques, capteurs thermiques et centrales solaires

Les capteurs solaires photovoltaïques ont des rendements bien supérieurs à la photosynthèse des végétaux. Ils peuvent atteindre 10% ou plus. Mais ils ont aussi leurs limites : leur fonctionnement est intermittent ce qui pose des problèmes de stockage. Les surfaces couvertes sont stérilisées pour d’autres utilisations. Le recyclage des panneaux n’est pas aussi simple que certains l’affirment. De plus, si le silicium qui entre dans la fabrication de ces panneaux, est un des éléments les plus courants à la surface de la terre, il n’en est pas de même du cadmium, autre élément indispensable. Les panneaux solaires thermiques, permettant de chauffer de l’eau, ont un meilleur rendement et sont beaucoup plus simples. En climat tempéré, ils peuvent couvrir 20 à 30 % des besoins de chauffage et 50 à 60 % des besoins en eau chaude sanitaire des pavillons ou des logements collectifs.

L’énergie solaire peut aussi être captée par des centrales, soit par des centrales photovoltaïques consistant à relier entre eux un grand nombre de panneaux, soit par des centrales thermiques constituées de panneaux spéciaux, dits héliostats, qui concentrent l’énergie en un point.

Actuellement, l’énergie solaire fournit environ 1% de l’énergie totale consommée dans le monde. Aura-t-elle une plus grande place dans le futur ? La réponse est oui, d’autant plus que la technologie progresse rapidement ; mais de notre point de vue, il est peu probable que le solaire puisse se substituer dans l’avenir de manière significative aux énergies fossiles.

 Biomasse

Les capteurs naturels que sont les plantes ou les arbres n’ont qu’un rendement très faible, compris entre 1 et 2%. La biomasse fixée chaque année par photosynthèse correspond à 71 Gtep. Le rendement de la photosynthèse n’est en effet que de 1 à 3% de l’énergie reçue. L’homme en prélève actuellement 5% soit 3,8 Gtep dont au maximum 0,5 Gtep comme source d’énergie (bois, biocarburants, méthanisation, etc.), soit moins de 5% de la consommation mondiale. Serait-il possible dans l’avenir d’augmenter cette contribution ? La réponse est oui sans toutefois espérer aller au-delà de 10 à 15%, en raison des nombreux problèmes qu’engendrerait cette utilisation massive : compétition avec la production à destination alimentaire, consommation d’eau augmentée, pression accrue sur l’environnement et la forêt, perte de biodiversité, etc.

Eolien

Selon le GWEC (Global Wind Energy Council), en 2019, la production mondiale d’énergie éolienne a été de 5 exajoules, soit un peu moins de 0,12 Gtep pour une puissance installée de 641 gigawatts, ou encore 0,8% de la consommation mondiale. L’énergie éolienne peut-elle prendre une part plus significative dans la production mondiale d’énergie? Malgré ses défauts (intermittence, difficultés de stockage) ou les oppositions qu’elle suscite, on peut penser que cette source d’énergie va continuer à se développer comme l’énergie solaire. Elle ne pourra cependant fournir que quelques pour cents de la production mondiale, même si certains sont plus optimistes.

Hydroélectricité et énergie marémotrice

 L’énergie hydroélectrique a contribué en 2019 à 6,4 % de la production totale d’énergie. Elle est restée stable par rapport à 2018 et ne pourra guère se développer dans les années futures en raison de la raréfaction des sites à grand potentiel. Il existe encore des possibilités d’installation de petites centrales électriques sur de petits cours d’eau, ce qui cependant n’est pas suffisant pour augmenter significativement la part de cette énergie dans la production mondiale. De plus, la construction de telles centrales n’est pas sans conséquence sur la faune. L’utilisation de l’énergie marémotrice ou des courants marins reste très marginale et semble devoir le rester, bien que certaines prospectives soient optimistes.

 Géothermie

 Les ressources géothermiques, qui remontent à l’origine du monde, sont considérables et peuvent être considérées comme renouvelables, bien que ce ne soit pas réellement le cas. Il existe deux utilisations possibles : la production d’électricité par des centrales de géothermie profonde ou la production de chaleur en géothermie de basse température par des centrales ou des pompes individuelles véhiculant de l’eau ou un liquide frigorifique et des calories du sous-sol vers la surface. L’exploitation géothermique est techniquement délicate et plus ou moins difficile à mettre en œuvre suivant les situations. Elle est généralement coûteuse à l’installation en raison du prix des forages verticaux ou du captage horizontal. L’installation de centrales peut entraîner des tremblements de terre de faible magnitude mais sans conséquence. Si l’énergie géothermique tend à se développer dans le monde, elle reste minoritaire et le restera probablement. En 2018, la production mondiale a été de 284 TWh[7] en chaleur et de 94 TWh en électricité soit un total de 388 TWh ou 1,396 EJ, soit 0,24 % de la consommation totale d’énergie.

L’énergie fossile

 L’énergie fossile provient de la combustion du carbone qui s’est accumulé dans l’écorce terrestre depuis l’apparition de la photosynthèse il y a 3,5 à 3,8 milliards d’années. Depuis cette date, une partie du carbone du CO2 de l’air fixé par photosynthèse n’est pas recyclé et s’accumule de manière diffuse dans les sédiments. La conséquence en est un excès d’oxygène qui a d’abord oxydé le fer ferreux des sédiments, puis s’est accumulé dans l’air pour atteindre son niveau actuel.  A partir de la colonisation des terres émergées par les végétaux il y a environ 450 millions d’années et en l’absence de champignons recycleurs, de grandes quantités de carbone se sont accumulées dans les sédiments sous forme de charbon, de lignite, de pétrole ou de gaz naturel. Ces ressources très riches en carbone sont dites conventionnelles. Il existe des sédiments à concentration en carbone beaucoup plus faible comme les schistes, les schistes ou les sables bitumeux. Ces ressources sont dites non  conventionnelles. La combustion de ce carbone fossile entraîne l’émission de CO2, un des principaux gaz à effet de serre, responsable du réchauffement climatique.

 

 Le charbon

Le charbon est la source d’énergie fossile la plus répandue sur terre. Elle est de plus assez bien répartie dans le monde. En 2018, les ressources avérées étaient de l’ordres de 400 milliards de tonnes, soit plus de 300 ans de réserve au rythme de la consommation actuelle qui a tendance à diminuer en raison des émissions polluantes résultant de son utilisation (gaz à effet de serre, soufre, cendres, etc.).

Le pétrole

Le pétrole est moins abondant que le charbon et moins bien réparti dans le monde. Les ressources avérées sont principalement localisées au Moyen-Orient, au Venezuela, au Canada, en Russie et aux États unis. La mise en exploitation récente de ressources non conventionnelles a considérablement augmenté les possibilités d’extraction. Au rythme actuel de consommation, les réserves seraient d’une centaine d’années.

 

Le gaz naturel

Les réserves mondiales de gaz naturel sont réparties sur l’ensemble du globe, mais pas uniformément. Les plus grandes réserves conventionnelles se trouvent en Russie et au Moyen-Orient. Les réserves non conventionnelles sont réparties plus largement. Selon l’International Energy Agency (IAE), les ressources utilisables conventionnelles et non conventionnelles seraient de taille similaire et permettraient de fournir du gaz naturel pendant 250 ans au rythme de consommation actuel. Les évaluations de British Petroleum sont un peu moins optimistes, mais néanmoins conséquentes.

L’énergie nucléaire

Deux types d’énergie nucléaire sont disponibles, l’énergie de fission et l’énergie de fusion.

 L’énergie de fission nucléaire

La fission nucléaire consiste à scinder un noyau lourd comme celui de l’uranium 235 ou du plutonium 239 en deux noyaux plus petits dont la somme est inférieure à la somme initiale. Cette perte de masse entraîne l’émission de neutrons et d’un dégagement d’énergie considérable. L’uranium naturel contient trois isotopes : l’uranium 238 le plus abondant (99, 28%), l’uranium 234, très peu abondant et l’uranium 235 (0,71%), le seul qui soit fissile. Sa fission dans les réacteurs nucléaires nécessite un enrichissement à plus de 3,5%. L’uranium naturel est largement répandu dans le monde. Les gisements les plus importants se situent en Australie (28% des réserves prouvées). Quelques autres pays se partagent l’essentiel des réserves prouvées (Kazakhstan (15%), Canada (9%), Russie (8%), Niger Namibie (7%). (4%), Afrique du Sud (5%), Brésil (5%), Niger (4%). La quantité d’uranium naturel nécessaire pour l’ensemble des réacteurs à uranium 235 en service dans le monde était un peu inférieure à 70 000 tonnes[8] en 2014. Les réserves prouvées étaient de l’ordre de 8 millions de tonnes soit au rythme actuel d’extraction une possibilité d’approvisionnement de plus de 110 ans. Au-delà, il serait possible d’extraire l’uranium à partir de ressources ayant des coûts d’exploitation plus élevés.

Les avantages et les inconvénients de la production d’énergie par fission de l’uranium 235 sont bien connus. Depuis les accidents de Tchernobyl et Fukushima, l’opinion publique est hostile à ce type d’énergie.  Il est probable qu’en 2050, la part du nucléaire ne sera guère supérieure à 5% de la production mondiale, bien que cette source d’énergie soit peu émettrice de gaz à effet de serre.

L’énergie de fission de l’uranium 235 pourrait être multipliée par la mise en route de surgénérateurs. Lorsqu’un noyau d’uranium 238 capte un neutron au cours de la fission de l’uranium 235, il se transforme en uranium 239 puis en neptunium 239 et enfin en plutonium 239. Ce dernier élément est fissile et pourrait être mis à contribution dans des surgénérateurs. Techniquement envisageables, ces surgénérateurs ont vu leur mise en route commerciale ralentie, voir arrêtée, en raison d’une opinion publique très défavorable.

L’énergie de fusion nucléaire

La fusion nucléaire consiste à réunir deux noyaux légers en un seul moins lourd que la somme des deux noyaux d’origine. La masse perdue se transforme en énergie. Les recherches se focalisent sur la fusion de deux isotopes de l’hydrogène, le deutérium et le tritium. Le deutérium est présent dans l’eau mer en quantité suffisante pour ne jamais manquer en cas de besoin. Le tritium est obtenu dans un réacteur à fission à partir du lithium qui est également abondant sur terre. Le problème est que la fusion ne peut se faire qu’à une température de l’ordre de 150 millions de degré. Le projet ITER pour International thermonuclear experimental reactor, qui consiste à tenter de confiner le plasma de deutérium et de tritium à 150 millions de degré dans un champ magnétique est le plus ambitieux programme scientifique international de recherche jamais entrepris par l’homme. Des physiciens, chimistes et ingénieurs de différents pays y participent. Plus de la moitié des habitants de la terre financent ce projet qui est mis en œuvre à Cadarache. L’Europe en est le moteur et le finance à 50%. Le premier plasma opérationnel devrait être obtenu en 2025 ou 2026 et la mise en puissance d’une machine fonctionnelle devrait pouvoir se faire en 2035. Un prototype industriel nommé Demo devrait voir le jour en 2040. La première fusion commerciale pourrait débuter en 2050.

 

Perspectives et conclusions

 50 ans après les premiers avertissements qui ont très largement alerté les gouvernements et les opinions publiques sur la nécessité de gérer autrement les ressources de la terre, force est de constater que peu de comportements ont été modifiés[9]. En 2019, 84,3% de l’énergie primaire consommée dans le monde étaient d’origine fossile contre 11,4% d’origine renouvelable et 4,3% d’origine nucléaire. De plus, la consommation d’énergie a constamment augmenté pour plus que doubler en 50 ans. Les conséquences sont bien connues : augmentation des émissions de gaz à effets de serre, aggravation de la pollution, atteintes multiples à l’environnement.

Les raisons de cette inconséquence sont multiples, mais deux facteurs ont une responsabilité majeure : la croissance démographique et la course à la croissance. Quels que soient les régimes, le credo des Etats est la croissance avec comme corollaire la mondialisation qui entraine l’augmentation des échanges commerciaux et des transports énergivores. Mais les Etats ne font que suivre leur opinion publique.

Le concept de transition énergétique a pourtant été adopté depuis 1975 et de multiples conférences ou accords internationaux ont suivi la conférence de Stockholm de 1972, mais manifestement sans résultats. La réalité est que l’opinion publique dans sa majorité a conscience des problèmes qui se posent, mais opte pour se réfugier derrière les multiples déclarations, recommandations ou accords internationaux qui ne sont suivis d’aucun effet, mais donnent bonne conscience. Le problème qui se pose actuellement est de savoir pour les 30 prochaines années quelle sera la stratégie que l’humanité adoptera. Si diverses options sont envisageables, elles peuvent se résumer en trois scénarios.

Le premier est une augmentation de la consommation primaire mondiale d’énergie de 50% en 2050 par rapport à 2019, soit 875 exajoules ou un peu moins de 21 Gtep avec une très large majorité d’énergie renouvelable. Selon HydroCoop, une association spécialisée dans l’énergie hydroélectrique et le stockage d’énergie, en 2050, l’énergie utile mondiale pourrait être renouvelable à plus de 75%, fossile à 20% et nucléaire à moins de 5%. Plus de 70% de l’énergie consommée seraient consommés sous forme électrique[10]. C’est aussi le scénario qui est envisagé par les partisans de la transition énergétique ou d’autres études, dont certaines estiment que 80% de l’énergie pourraient être renouvelables en 2050. Malheureusement ce scénario ne repose sur aucune réalité : fournir de l’ordre de 16 Gtep ou plus en énergie renouvelable relève de l’utopie. Cette perspective n’est pas tenable et engendrerait sur les différents écosystèmes de la planète une pression directe ou indirecte incompatible avec leur pérennité

La seconde est de toujours tabler sur une consommation de 21 Gtep ou 875 exajoules en 2050 avec encore comme actuellement une dominance de l’énergie fossile, ce que permettraient encore les ressources du sous-sol. Un scénario avec 70 % d’énergie fossile, 25% d’énergie renouvelable y compris l’hydroélectricité et 5 % d’énergie nucléaire semble techniquement possible. Cela signifierait cependant la consommation d’un peu moins 15 Gtep d’énergie fossile contre 11,7 en 2018. Une telle consommation est incompatible avec les objectifs des COPs ou autres conférences qui se succèdent, c’est-à-dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre et plus généralement de la pollution. Dans ce second scénario, il serait envisageable d’augmenter la part de l’énergie nucléaire de fission pour réduire les émissions de gaz à effet de serre en allant au-delà de 5%.  Mais l’opposition publique à cette forme d’énergie ne le permettrait pas. Passer de 4,3% à 5%, c’est-à-dire de 25 exajoules en 2019 à 44 exajoules en 2050, semble déjà difficile à envisager.

La troisième est de réduire de manière drastique la consommation mondiale d’énergie en stabilisant la population et en diminuant considérablement la consommation par habitant. Pour l’instant l’humanité n’est pas prête à voir la réalité en face et à envisager un arrêt de la course à la croissance. La solution est cependant dans cette direction. Elle est dans l’esprit de chacun avec à la clef une profonde mutation des comportements. Lorsque l’opinion publique sera suffisamment informée et aura évolué en conséquence, on peut espérer que les orientations politiques suivront. Cependant, avant que l’opinion ne soit prête, il faut s’attendre à bien des catastrophes.

Ces trois scénarios pourraient devenir en partie caduques après 2050 si l’énergie de fusion était maîtrisée. Son potentiel est sans limites à l’échelle humaine, mais nous n’avons actuellement aucune certitude sur la faisabilité de cette maîtrise et il resterait alors le problème des autres ressources de la terre qui, elles, ne sont pas illimitées.

En conclusion, une transition énergétique tablant sur 75 ou 80% d’énergie renouvelable à l’horizon 2050 est une impossibilité. Une option à 70% d’énergie fossile, 25% d’énergie renouvelable et 5% de nucléaire de fission est techniquement possible, mais serait incompatible avec une réduction de l’émission des gaz à effet de serre ou de la pollution et la préservation de l’environnement. Au-delà de 2050, la maîtrise de l’énergie nucléaire de fusion pourrait être une alternative. Maîtriser la démographie, stabiliser la croissance mondiale ou la réduire, adopter un mode de vie plus frugal, partager les richesses et les connaissances, nous semble une autre voie qui permettrait à l’humanité d’éviter le chaos et de répondre à un défi d’une ampleur à laquelle elle n’a encore jamais été confrontée.

Références non exhaustives

Armaroli Nicola, Balzani Vincenzo, 2007. The Future of Energy Supply: Challenges and Opportunities. https://doi.org/10.1002/anie.200602373

Berndes Göran, HOOGWIJ Monique, van den BROEK Richard, 2003. Biomass and Bioenergy, 25, 1, 1-28. https://doi.org/10.1016/S0961-9534(02)00185-X.

Berndes Göran, 2008. Future Biomass Energy Supply: The Consumptive Water Use Perspective. International Journal of Water Resources Development, 24, 2, 235-255. https://doi.org/10.1080/07900620701723489

Breeze Paul, 2016. The Natural Gas Resource in Gas-Turbine Power Generation. Elsevier Ltd.

Caspeta Luis, Buijs Nicolaas A. A. and NIELSEN Jens, 2013. The role of biofuels in the future energy supply. Energy environment Science, 6, 1077-1082. DOI: 10.1039/C3EE24403B

Fressoz Jean-Baptiste, 2014. Pour une histoire désorientée de l’énergie. 25èmes Journées Scientifiques de l’Environnement – L’économie verte en question, Feb 2014, Créteil, France. hal- 00956441

Laponche Bernard, 2011. Transition énergétique et sortie du nucléaire. Conférence, Université populaire Anis Gras, 55 avenue Laplace, Arcueil. http://pertuisien.fr/imeven/Mediane28octbis.pdf

Le Tacon François, 2012. Développement durable ou gestion durable ?  Revue Forestière Française, LXIV, 1, 83-96.

Lunnan Anders, 199. Agriculture-based biomass energy supply — a survey of economic issues. Energy Policy, 25, 6, 573-582. https://doi.org/10.1016/S0301-4215(97)00048-7.

Teichmann Daniel, ARIT Wolfgang, WASSERSCHEID Peter and FREYMANN Raymond, 2011. A future energy supply based on Liquid Organic Hydrogen Carriers (LOHC). Energy environment Science, 6, 2767-2773. https://doi.org/10.1039/C1EE01454D

Notes

[1] https://www.bp.com/content/dam/bp/business-sites/en/global/corporate/pdfs/energy-economics/statistical-review/bp-stats-review-2020-full-report.pdf

[2] Le joule (J) est une unité du Système international permettant de quantifier l’énergie, le travail ou la chaleur. Un joule = 1 Newton mètre. Un exajoule (EJ) = 1018 joules = un quintillion de joules

[3] Il s’agit de sources d’énergie commercialisées. Il faut y ajouter environ 10% d’énergie autoconsommée difficilement comptabilisable.

[4] 1 La tonne équivalent pétrole (tep) est une unité de mesure de l’énergie utilisée dans l’industrie ou l’économie. Elle correspond à l’énergie libérée par une tonne de pétrole ; elle n’a qu’une valeur moyenne et peut prêter à confusion ; elle n’est donc pas une unité de mesure du Système international. Un gigatep (Gtep) = un milliard de tep (109 tep). L’équivalence Tep/joule est approximative : on admet l’équivalence suivante : un Gtep = 41,86 exajoules. Un exajoule (EJ) = 0,023889 Gtep.

[5] https://www.iea.org/topics/covid-19

[6] (https://www.eia.gov/outlooks/aeo/pdf/aeo2020.pdf)

[7] TWh = terawatt-heure

[8] https://www.world-nuclear.org/information-library/nuclear-fuel-cycle/mining-of-uranium/world-uranium-mining-production.aspx

[9] Gifford Pinchot, gouverneur de l’État de Pensylvanie, avait dès 1945 proposé au Président Truman la tenue d’une conférence mondiale sur la gestion des ressources de la Terre.

[10] http://www.hydrocoop.org/-/future-of-energy/